vendredi 30 janvier 2009

La 2 x 2e dimension

Gare de Saint-Fons, peut-être la plus petite gare TER de toute la région, 19h25, il fait nuit.

J'arrive sur le quai, un homme discute avec un ado. J'imagine qu'ils sont père et fils quand ils se tournent vers moi et que le plus âgé me demande : "Excusez-moi. Pour aller à Paris, c'est la bonne direction ?
- Pour Paris ?!?... euh... oui... Vous arrivez directement à Perrache et vous prenez un TGV direct pour Paris.
(un temps pendant lequel je digère la surprise)
- Remarquez, si vous allez à la gare de la Part-Dieu, vous attendrez moins, il y a davantage de TGV. Mais alors il faudra prendre le tramway T1 jusqu'à...
- Non non non, je vais m'arrêter à Perrache, c'est plus simple.
- Oui, vous avez raison.
- Mais comment j'achète mon ticket là, il n'y a personne ?
- Ah non, ici c'est un peu la gare-fantôme, il n'y a même pas de composteur, vous pouvez prendre un billet pour Perrache, mais vous aurez sans doute la chance de pouvoir le réutiliser bientôt."
Sur cette réflexion, le jeune me dit :
"Faites attention, moi j'ai déjà pris une amende de 15 €, le contrôleur n'a pas voulu me croire quand je lui ai dit qu'il n'y a pas de composteur.
- Oui ben faudra qu'il se lève tôt pour que je paye si ça arrive, faut pas pousser."
Le TER arrive, le jeune s'éloigne de nous, et celui que je prenais pour son père se rapproche de moi :
"Vous allez à Perrache ? Je peux monter avec vous ?
- Oui oui, bien sûr, venez."
On s'assoit, face à face. Il me demande :
"Et ensuite vous aussi vous allez aussi à Paris ?
- Ah non, moi je m'arrête à Perrache, j'y habite, je rentre du boulot là.
- D'accord."
Pour détendre l'atmosphère, et briser le silence qui s'installe, je lui demande :
"Vous allez passer le weekend à Paris ?
- Non non, je rentre chez moi, je vais à Notre-Dame-de-Gravenchon.
Puis, voyant mon air ahuri : C'est à côté du Havre.
- Ah OK, c'est pas à côté quand même. Vous étiez à Saint Fons pour votre travail ?
- Oui. Et normalement je cherche un camping.
Mais je crois que je vais pas trouver.
- Ah ça oui ! Au mois de janvier à Saint-Fons, à 8h du soir ça risque d'être bien difficile.

- C'est moins cher et c'est pratique, mais c'est difficile ici.
- Oui."
Je ne peux pas en dire plus, il faut que je digère ce nouveau rebondissement. Et je commence sérieusement à me dire qu'il faut bien que je profite de cette rencontre, car elle n'est pas banale.
"Et vous travailliez à Saint-Fons depuis plusieurs jours ?
-
Non, ce matin j'étais à Pau.
- A Pau ? Vous voulez dire que vous étiez à Pau, et que vous êtes passé par Lyon pour aller en Normandie ?
- En fait, c'est entre
Le Havre et Rouen, et j'habite à Touffreville-la-cable, à deux kilomètres de Gravenchon. Pas à Gravenchon même, mais à Touffreville il n'y a pas de gare."
A ce moment-là, je prends la décision de tout croire, et répondre aussi sérieusement que ce monsieur.
" Mais pourquoi vous allez de Pau à la Normandie en passant ici ?
- C'est pour mon travail, je suis sur des chantier.
- Et c'est quel type de chantier ? Un immeuble d'habitations, des bureaux, le tramway 4 ?
- Non non, moi je travaille dans la plomberie-zinguerie.
J'ai dû mal formuler ma question...
-OK, mais qu'est-ce qui est construit sur le chantier ? Des appartements, des parkings, des bureaux ?
(quelques secondes de réflexions de sa part)
- Oui, c'est ça.
- D'accord."
Je suis définitivement au beau milieu d'un incident supra-dimensionnel. Mais personne autour pour vérifier si c'est bien encore la réalité. Et puis je me demande tout à coup s'il n'est pas en train de me draguer. Il n'est pas super bandant mais c'est toujours excitant avec un inconnu dans le train...
Je défais ma veste, je mets mon paquet en évidence... mais non, rien, il tripote fébrilement son énorme portefeuille coincé sous sa cuisse.
On traverse le Rhône avec cette vue splendide sur le centre ville. Il lance :
"C'est une grande ville !
- Oui, c'est une très belle ville, qu'on ne visite pas assez."
On arrive en gare, et je vois un TGV stationné :
"Tenez, ce TGV va à Paris je pense, vous ne devriez pas attendre trop longtemps."
On sort du TER, je m'apprête à prendre l'escalier, et l'homme me demande :
"Je suis obligé de monter, je ne peux pas y aller directement ?
- Ah ben oui, vous ne pouvez pas traverser les voies, c'est dangereux. Et pusi il faut prendre un ticket, vérifier qu'il va bien à Paris. Suivez-moi."
Arrivés dans la gare (qui est au-dessus des voies) :
"Tenez, vous avez des machines là-bas, et vous choisissez Départ immédiat."
Il ne dit plus un mot, il a l'air un peu ailleurs.
"Bon, si vous voulez, vous pouvez aller directement dans le TGV, et vous allez voir le contrôleur, vous devrez payer un petit supplément mais vous ne raterez pas le départ.
Toujours pas de réponse, il me regarde et regarde tout autour, alors que des tas de gens passent autour de nous.
"Oui, je vais aller dans le train. Et puis merci, hein.
-Je vous en prie, et faites bon voyage."

Voilà, c'est tout, c'est arrivé comme ça.

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